La (magnifique) tribu de La Sala

Date de parution : Octobre 18

Pour sa première création seule aux commandes et hors de scène, Aurélie La Sala de la compagnie Virevolt (qu’elle a fondée en 2000 avec Martin Cuvelier) signe un spectacle remuant, interrogeant dans les airs ce qu’est le groupe, à la fois répulsif et refuge. Un « Départ Flip » remarquable à découvrir au Grand Angle ce mois-ci et à la Rampe en décembre.

Ne pas s’attendre à une démonstration de force sur les douze trapèzes qui, au début de la représentation, sont encore repliés sur eux-mêmes. Bien sûr, les cinq acrobates savent parfaitement les manier mais là n’est pas le propos, qui est plutôt d’affirmer comment on fait groupe, par contrainte ou par choix.

Ainsi, il faut tout d’abord que les interprètes se familiarisent avec un nouvel environnement – ici, c’est la verticalité. Leurs corps l’appréhendent lentement, déployant les trapèzes depuis un grill de cordes, le plateau haut perché du dispositif scénique. Sans que l’exercice ne soit synchrone, la simultanéité avec laquelle tout se déroule rend l’installation joyeuse et ludique, les filles s’amusant même comme des enfants sur une balançoire. Une candeur qui traverse tout le travail d’Aurélie La Sala, directrice artistique de la compagnie Virevolt, sans que cela ne l’empêche d’empoigner son sujet à pleines mains.

Bestiaire

Car le groupe dont il est question est en filigrane celui de migrants débarqués sur une terre inconnue. Postés sur un cube à moins d’un mètre du sol, ils semblent regarder la mer menaçant de les aspirer. Point alors le danger qui émanerait de la chute. Mais Aurélie La Sala sait trouver la bonne distance en ne créant jamais un suspens qui serait autant contre-productif que racoleur. Et, surtout, ne colle pas un stickers trop voyant d’immigrés sur ses circassiens.

Au sol, c’est alors une autre dynamique qui s’enclenche : celle de la mesure à l’autre, de la comparaison – comment on marche avec de drôles d’objets trouvés (des escarpins à paillettes), comment on s’échauffe et tutoie la bagarre… Sans épate, mais avec une intelligence du plateau indéniable, ce Départ Flip parvient à nous bouleverser en interrogeant corporellement ce qu’il nous reste de liberté, la capacité et/ou la nécessité d’être seul ou plusieurs, comment on se débat avec les contraintes extérieures et nos urgences intérieures. Comment on grandit en somme.

Nadja Pobel